Depuis le 17 mars, je suis confiné à la maison avec ma femme et deux garçons de 8,5 et 11,5 ans. Dans un petit appartement dans le centre-ville d’une métropole française. Pendant les quelques jours qui ont précédé cet enfermement « volontaire », nous avons passé pas mal de temps à écouter et regarder les informations. Et ce sur différents médias, histoire de savoir à quelle sauce nous serions mangés.
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Constatant au soir de l’allocution guerrière de notre président que mon fils de 8 ans se posait quelques questions, j’ai pris le parti de réduire drastiquement son exposition aux contenus informationnels anxiogènes. Car même en leur expliquant et en dédramatisant, difficile pour des petits de comprendre qu’un même mot peut être utilisé par un Président pour décrire une situation OU susciter la mobilisation de la population. Sans que cela fasse nécessairement de lui un menteur.

Adapter les usages médiatiques
De nombreuses choses de la vie quotidienne ont été profondément bouleversées ces derniers jours. Chez moi, la première évolution a concerné les actualités télévisées et radiophoniques. En tant qu’ancien journaliste, médiateur numérique et consultant en veille , l’information est ma matière première. Et j’en consomme quotidiennement une grande quantité. J’essaie généralement d’utiliser ces moments pour sensibiliser mes enfants aux questions sociales, politiques, médiatiques, économiques, etc.
Les raccourcis que de jeunes oreilles génèrent dans le cerveau de leur propriétaire sont souvent spectaculaires. Ils préfigurent parfois ceux empruntés par certains utilisateurs des réseaux sociaux.
Alors que les tranches d’infos (radio le matin, TV le soir) sont pour nous des moments de discussion et d’échanges (qu’as tu compris ? en as-tu entendu parler à l’école / au collège ? qu’en penses-tu ? pourquoi telle personne tient-elle tels propos ? etc…), j’ai décidé de modifier ce rituel familial.
Sur les conseils de la maîtresse de mon fils en CE2, je les ai laissé regarder quotidiennement le Journal Junior d’Arte. Cela nous a permis de poursuivre nos échanges. Mais sur la base d’informations choisies et traitées spécifiquement pour les jeunes publics. Tant que les informations pour adultes prendront la forme d’un décompte des morts et de polémiques stériles, je ne compte pas changer ce nouveau mode de fonctionnement. Je m’informe de mon côté, avec un casque.
Médias traditionnels Vs médias sociaux
Bien que n’ayant pas eux-mêmes de comptes personnels -j’estime qu’ils sont trop jeunes-, mes enfants n’en sont pas moins exposés aux contenus publiés sur les principaux réseaux sociaux. En étant confinés ils entendent d’autres en parler : parents, grand-parents en visio. Et peuvent au détour d’un zapping tomber sur des médias traditionnels qui les reprennent. Que ce soit pour les faire mousser ou les démentir. Et puis, alors que nous sommes pour longtemps tous ensemble à la maison, il est difficile de ne pas partager avec ses proches les étonnements, colères et éclats de rire que les réseaux sociaux nous apportent quotidiennement.

Plusieurs fois, j’ai constaté qu’il est important de faire répéter ce qu’un enfant a cru comprendre d’un échange « glané » auprès d’adultes. Et c’est encore plus crucial de le faire maintenant que le sujet est mortel. Les raccourcis que de jeunes oreilles génèrent dans le cerveau de leur propriétaire sont souvent spectaculaires. Ils préfigurent parfois ceux empruntés par certains utilisateurs des réseaux sociaux.
Lorsque, malgré mes précautions, des contenus « coronanxiogènes » sont arrivés jusqu’à eux, nous avons parlé ensemble de ce qu’ils voulaient dire et des références qui pouvaient leur manquer. Nous sommes tombés d’accord pour dire que sur ces questions, c’est probablement le corps médical qui est le mieux placé pour se prononcer, et que c’est donc en lui que nous déciderions d’avoir confiance. Mais j’ai tout de même entrepris de réduire au maximum leur exposition à ces informations. Qui semblent de nature à les inquiéter. Je n’ai pour l’instant pas détecté de signes qui pourraient indiquer qu’aucun des deux n’ait été traumatisé. Ou du moins ne les ai-je pas détectés plus que d’habitude !
Le numérique pour entretenir les liens
Cela dit, c’est bien aux contenus anxiogènes que nous faisons la chasse, et non aux médias sociaux. Ils sont en effet l’un des moyens les plus simples pour continuer à voir des grands-parents, cousins, amis, etc.
Nous multiplions les apéros Facebook, visio-conférences grand-parentales et discussions whatsapp avec les divers membres de la famille. Ce confinement marquera pour mes enfants un bond radical dans leurs usages des outils numériques et des médias auxquels il est ainsi possible d’accéder.

Ils vont parfois regarder et écouter des trucs qui ne m’intéressent pas, bien sûr. Mais nous en profitons aussi pour faire des visites difficiles, ou impossibles, en tant normal : le Moma de New York, l’Opéra de Paris. Ou assister à des concerts de métal, de rap ou de musique classique, regarder des films, découvrir des séries, etc. C’est ainsi l’occasion de mettre en pratique une posture particulièrement importante avant de lâcher des enfants en ligne. C’est nous qui décidons ce que nous voulons voir et regarder. Pas l’algorithme alimenté par nos données personnelles. Car il ne mettra en avant que ce qui est monétisable et plaît au plus grand nombre. Les visites, vidéos et musiques souhaitées sont choisies et désignées AVANT d’allumer l’ordi… Pour la sérendipité, j’attendrai qu’ils soient plus grands !
Enfin, certain-es auront la redoutable chance d’être très présent-es pendant que leurs enfants découvriront ces outils et opportunités. En étant confiné c’est l’occasion de faire comprendre qu’il est possible, et souhaitable, de parler des contenus trouvés sur les médias et réseaux sociaux. Les enfants auront moins de réticences à se tourner vers vous en cas de question ou de problème. Ce qui suffit à réduire grandement l’impact des funestes dangers d’internet. Qu’il conviendrait d’ailleurs d’après moi d’appeler désormais les dangers des internautes. Puisque ce sont bien eux qui transforment certains « coins » d’un réseau dédié à la circulation d’informations en dépotoirs de la pensée humaine.
À propos de l\'auteur·trice
Médiateur et formateur pour l’association Fréquence Ecoles, Christophe Doré se déplace dans les structures éducatives auprès des enfants, ados, parents et encadrants pour les guider dans les mondes numériques. Professionnel de la veille stratégique, c’est grâce à lui que les sources avec lesquelles sont écrits les contenus dans le Super Média seront toujours les plus récentes et les plus intéressantes. Également journaliste et consultant spécialiste de la presse écrite et des réseaux sociaux, Christophe puise ses questionnements dans son expérience de papa de deux enfants en cours de connexion.