visioconferences
© Kelly Tan

Impression d’un parent / médiateur numérique confiné : les visioconférences

Confiné avec ses enfants : Partie 4

Les visioconférences constituent probablement le changement le plus important apporté par le confinement. Qu’il s’agisse de faire coucou aux grands-parents, de travailler avec une équipe distante ou de permettre à des élèves d’échanger avec leur(s) professeur·e(s), la visio entre doucement dans les mœurs conversationnelles du plus grand nombre. Il est donc temps de rappeler pourquoi ça s’appelle visioconférence, et non pas visiodiscussion…

Après quatre semaines de confinement, mon écolier et mon collégien sont passés de la joie de ne plus voir leurs enseignant-es respectifs à l’envie de retrouver ces visages familiers et, globalement, bienveillants. Les plateformes qui proposent ce type de service sont désormais très nombreuses et bien connues : Facebook Messenger, Whatsapp, Google Meet, Zoom, Skype, Teams, etc…

Si cela s’appelle visioconférence, et pas visiodiscussion, ce n’est pas par hasard : il est impossible de les utiliser pour mener une discussion de façon aussi informelle qu’en vis à vis.

Si ces solutions sont globalement assez simples à utiliser, leur paramétrage est un moment qui peux être mis à profit pour faire de l’éducation aux médias in vivo. En effet, certaines plateformes nécessitent l’installation d’un logiciel / d’une application spécifique, alors que d’autres sont accessibles intégralement en ligne. Une bonne occasion de discuter de la différence entre local et cloud. Sur les plateformes que l’on utilise pour la première fois à cette occasion, l’étape suivante concerne le choix de l’identité que l’on arborera en ligne. Pour échanger avec leurs potes, ou à la limite avec leurs grands-parents, il est possible de leur laisser choisir un alias de leur choix : link, allmight, prout*, jaipasenviedevousparler*, etc.

Karolis Strautniekas ©

Mais lorsqu’il s’agit de communiquer avec des profs, la fantaisie ne devrait plus être de mise. Le choix du nom qui s’affichera sur les écrans du professeur et des autres élèves est le premier élément de l’identité numérique d’un·e collégien·ne. C’est donc l’occasion de réfléchir avec elle / lui à ce qui est adapté à différents contextes. La façon dont le choix sera fait peut ensuite être réutilisée lorsque vous lui permettrez de s’inscrire pour la première fois sur un réseau social…

La 1ère visio : un embryon d’identité numérique

L’étape suivante permet d’aborder certains points relatifs à la sécurité des outils connectés, puisqu’il s’agit d’autoriser l’application / le logiciel à accéder : à la caméra ; au micro ; au carnet d’adresses et aux dossiers et fichiers enregistrés sur l’ordinateur. Avant d’accorder chaque autorisation, il semble utile de s’interroger sur la raison pour laquelle l’application / le logiciel demande cet accès :

  • la caméra : pour capter et envoyer aux autres participants notre image ;
  • le micro : pour capter et envoyer aux autres les paroles prononcés (et les cris du petit-frère, par la même occasion…) ;
  • le carnet d’adresses : pour faciliter la mise en relation avec les personnes avec lesquelles on a déjà été en contact ;
  • les dossiers et fichiers enregistrés sur l’ordinateur : pour permettre le partage et la modification collaborative de documents, faciliter la sélection d’une image de profil, etc. C’est encore une fois l’occasion de rappeler que certaines méta-données sont généralement attachées, bien qu’invisibles, aux images que nous prenons avec nos téléphones et appareils photo : dates, coordonnées GPS, matériel de prise de vue, etc.

Il n’est souvent pas possible d’accepter certains points (caméra, micro) et d’en refuser d’autres (carnet d’adresses, accès aux dossiers…). Pourquoi ? Parce que ces services étant généralement gratuits, ils doivent être financés autrement que par les contributions des utilisateurs. Ce sont donc les données rattachées à nos fichiers et interactions qui feront office de « dons » aux opérateurs des plateformes, qui les valorisent ensuite pour financer leurs activités. Avec les contacts d’un carnet d’adresse, il est en effet possible :

  • d’identifier et contacter les personnes avec lesquelles on partage une activité professionnelle, des centres d’intérêts culturels ;
  • d’adresser des invitations à rejoindre le service aux contacts qui ne sont pas encore utilisateurs ;
  • d’adresser à certains contacts des publicités en lien avec les points communs qui rassemblent les divers utilisateurs…

Visioconférence ≠ Visiodiscussion

Une fois tous les paramètres sélectionnés et validés, les échanges en ligne peuvent débuter… et les ennuis aussi ! Si cela s’appelle visioconférence, et pas visiodiscussion, ce n’est pas par hasard : il est impossible de les utiliser pour mener une discussion de façon aussi informelle qu’en vis à vis. Dès qu’une personne tente d’en interrompre une autre, ou de surenchérir / enchaîner sur ce qui a été dit, le discours des uns et des autres devient inaudible : la clé d’une visioconférence réussie est le respect de la parole de chacun, ce qui s’avère particulièrement difficile avec des écoliers, des collégiens et mes sœurs.

Le professeur principal de mon collégien a opté pour l’application de visio Blackboard, présentant l’avantage de proposer un bouton « lever la main » pour demander la parole. Ils l’ont tous pas mal utilisé, sans pour autant attendre qu’on leur donne la parole pour tenter de la prendre…

Le mode de fonctionnement de la plateforme BLACKBOARD

Je ne pense pas avoir à vous dépeindre l’état d’excitation de mon collégien quand il su qu’il allait pouvoir revoir certaines de ses camarades ! C’est donc avec une grande impatience de sa part que nous avons réalisé chacune des étapes précédentes. Sauf qu’une fois connecté, il n’avait pas grand chose à dire, pépère. Sur 1h30 de visio avec une quinzaine d’élèves de 6ème :

– 30 min pour réussir à faire se connecter tous les élèves attendus et les accompagner pour ouvrir / fermer caméras et micros, gérer les connexions / déconnexions, choisir la vue (vous êtes plutôt « mosaïque » ou « présentateur » ?).
– 15 min pour réaliser que les gamins s’envoyaient des messages via le chat intégré à l’outil et n’écoutaient donc pas du tout ce que disait l’adulte.
– 30 min de gamins qui galèrent à prendre la parole pour expliquer qu’ils n’ont rien de particulier à dire ou à demander.
– 15 min pour qu’ils répondent à la question assez / pas assez de devoirs (dis monsieur le prof, t’en connais vraiment beaucoup, des gremlins qui te réclament plus de taff ?).

En dépit de l’absence quasi-totale d’échanges constructifs et les difficultés rencontrées pour faire s’exprimer les élèves, mon collégien était satisfait. Il avait « vu » ses camarades.

La visio comme support de compréhension de l’Internet

Le principal intérêt de la visioconférence pour les enfants est au final assez annexe à l’activité en elle-même. Lors des essais devant permettre à ma compagne de tester différents outils, nous avons fait une visio intra-familiale, chacun dans une pièce avec ordi, tablette, smartphone etc.

Extrait de l’atelier Fréquence Ecoles : Les Dessous d’Internet

Les garçons ont rapidement constaté qu’il y avait un décalage important entre le moment où nous disions quelque chose et celui où notre terminal nous faisait parvenir nos paroles. Nous avons profité de l’occasion pour reconstituer le trajet de nos images et voix : du terminal à la box (via les ondes, en wifi), de la box au serveur (via mini-câbles domestiques, puis câbles continentaux et océaniques), des serveurs à la box (idem, dans l’autre sens) et finalement de la box au terminal (via les ondes, en wifi). Ils ont convenu que pour traverser l’Atlantique aller / retour, le temps de latence n’était finalement pas si important que cela…

Au final, nous utilisons majoritairement les visioconférences parce que c’est possible, pas parce que c’est utile

La visioconférence est également un moyen très concret de parler de la bande passante et du débit montant / descendant d’une connexion à l’internet. Je vous passe les détails, mais je pense qu’ils ont désormais compris pourquoi il est utile de couper l’image quand le son est mauvais, pourquoi on ne peut pas mener de chez nous plusieurs visioconférences en même temps, pourquoi ils ne peuvent pas jouer en ligne quand nous travaillons avec Internet, etc.

Du coup, nos expériences de visioconférences sont au final assez mitigées : ils réclament de voir leurs potes, mais n’ont rien à leur dire, ils se cachent pour ne pas être vus de leurs grands-parents, ils réclament des apéro-visio au cours desquels ils ne disent pas un mot… Mais après tout, c’est plutôt compréhensible : en présentiel, ils se contentent souvent d’écouter ce que disent les grands. En visio, cela n’a aucun intérêt.

Distanciation sociale
Celia Krampien ©

Au final, nous utilisons majoritairement les visioconférences parce que c’est possible, pas parce que c’est utile : les messages que nous échangeons sont essentiellement portés par nos paroles, et pas par notre image. Et ça, c’est plutôt utile, comme apprentissage.

*à réserver aux séances avec vos beaux-parents

À propos de l\'auteur·trice

Médiateur et formateur pour l’association Fréquence Ecoles, Christophe Doré se déplace dans les structures éducatives auprès des enfants, ados, parents et encadrants pour les guider dans les mondes numériques. Professionnel de la veille stratégique, c’est grâce à lui que les sources avec lesquelles sont écrits les contenus dans le Super Média seront toujours les plus récentes et les plus intéressantes. Également journaliste et consultant spécialiste de la presse écrite et des réseaux sociaux, Christophe puise ses questionnements dans son expérience de papa de deux enfants en cours de connexion.

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