Fille dans la rue devant un panneau de stationnement
© Bev Johnson

Écrans et enfants : 5 leçons pour le monde d’après

Des enseignements à tirer du confinement pour le futur numérique de nos enfants

Quand la télé diffuse des cours, qu’Internet sert à travailler et que le meilleur moyen de garder le contact avec l’extérieur passe par son téléphone ou sa console de jeux, difficile de maintenir ses enfants à distance des écrans. Retour sur quelques idées reçues mises à mal par ce confinement.

Qui aurait cru il y a seulement quelques semaines que l’ordinateur familial deviendrait source de tant de convoitises ? Qu’il faudrait laisser ses enfants prendre possession de ces écrans chaque jour, pour une heure ou parfois beaucoup plus quand on a la chance d’en avoir à disposition ? Car des maternelles aux lycéen·nes tous ont désormais besoin d’un écran. Enfin d’un écran… ça ne veut pas dire grand chose un écran. Ils ont besoin d’un ordinateur, d’un téléphone, d’une tablette et même d’une console de jeux parfois. Et d’une connexion aussi ! Car un écran – tout seul- n’est rien. On est bien d’accord ?

1. Le « temps d’écran » n’est pas le plus important

Avant le confinement, le mot d’ordre était de limiter le temps des enfants sur les écrans. Peu importe lequel d’ailleurs… car les écrans rendent les enfants idiots ! Avec le confinement, cette idée a volé en éclat. Interdiriez-vous à votre ado de regarder la télé parce qu’il ou elle a passé trois heures sur l’ordinateur ce matin en visioconférence avec ses profs ? « Ah désolé(e) chéri(e), mais ça fait trop d’écran aujourd’hui là, dommage» ?! Il est évident qu’avec le confinement, les règles s’assouplissent. Le temps ne peut pas être l’unique mesure dont il faut tenir compte pour apprendre aux enfants à maîtriser leur consommation numérique et en tirer profit.

Désormais on parle « contenu », et on organise le temps d’écran en fonction des besoins des uns et des autres. En voilà une bonne idée ! L’essentiel reste donc de savoir ce qui s’y fait, sur l’écran, et d’en discuter pour fixer des règles en connaissance de cause. Et même hors confinement.

2. Les « digital natives » sont souvent des ignorants

Sans surprise, les familles qui possèdent plusieurs équipements numériques dont les enfants maîtrisent l’utilisation s’en sortent plutôt bien avec « l’école à la maison ». Après un rapide sondage auprès des familles, le constat est sans appel : quand les enfants ont plus de 13 ans et disposent (donc quasiment tous) d’un smartphone et/ou d’un ordinateur personnel, les ados se débrouillent. Ce sont les profs qui font parfois d’étonnantes découvertes. Solenn, enseignante au collège a réalisé que plusieurs de ses 4èmes et 3èmes ne savaient pas envoyer un mail ou transmettre une pièce jointe: 

« Certains n’avaient pas d’adresse mail jusqu’à présent et ne savent donc pas s’en servir. J’ai reçu des courriels avec tout le texte dans l’objet, aucune pièce jointe, des documents sans noms ou illisibles.  »

Solenn, enseignante au collège

Super doués avec Snapchat, Tik Tok ou Instagram mais nuls avec une boîte mail ? Si la très instructive enquête sociologique menée par Dominique Pasquier sur « L’internet des familles modestes » montre que l’usage du mail, et de l’écrit en général, est inégalement maîtrisé selon les classes sociales, il n’en reste pas moins que les adolescent·es maîtrisent généralement peu les outils de bureautique et la logique informatique. Ce confinement nous montre qu’il est temps de leur apprendre à nommer et archiver des fichiers, les échanger, structurer un espace de travail et leur permettre de coopérer pour explorer les multiples potentialités offertes par « la révolution numérique ». Le numérique ne se résume pas à des outils technologiques, c’est aussi une manière de penser et d’organiser son travail.

3. La culture numérique ça se partage en famille.

« Dans la chaîne des facteurs entremêlés qui expliquent les effets des écrans sur les jeunes enfants, le rôle des parents est souvent gravement sous-estimé. » affirme le psychiatre Yann Leroux sur son compte Instagram, rappelant l’importance des interactions entre l’adulte et l’enfant durant l’utilisation d’un média. Accaparés par nos propres activités numériques, prenons nous le temps d’accompagner nos enfants dans ce précieux temps d’écran que nous leur accordons ? Bien souvent la réponse est non. Pendant qu’ils sont sur leurs écrans, les parents sont sur les leurs et chacun vit sa vie numérique.

L’expérience de l’école à la maison avec des plus petits aura eu le mérite de réunir parents et enfants devant l’écran pour se connecter aux classes virtuelles, accéder aux exercices et naviguer sur les liens proposés par les enseignant·es. Il aura fallu les accompagner, appréhender les plateformes mais aussi expliquer comment interagir… un subtil mélange entre savoir-faire et savoir-vivre qui leur permettra sûrement, une fois ado, de savoir envoyer un mail, télécharger une pièce jointe… Et sûrement plus encore !

4. L’identité numérique ce n’est pas qu’un profil sur les réseaux sociaux

La continuité pédagogique ne s’est pas faite en un jour ! Alors que de nombreux profs ont paré au plantage des ENT grâce à Whatsapp, Discord ou autres plateformes d’échanges, chacun a pu expérimenter très rapidement la finesse de la frontière entre vie privée et vie publique. Car aux usages de loisirs auxquels s’adonnaient la majorité des moins de 17 ans, se sont substitués des usages « professionnels » où l’identité numérique a pris une toute autre dimension. Quel pseudo choisir dans une classe virtuelle ? Ma photo de profil convient-elle aux échanges scolaires ? Qui voit ce que je publie ? Des éléments qui n’avaient pas toujours suscité l’intérêt tant que les échanges étaient restreints aux « amis » des réseaux sociaux.

Mais ce cercle s’est subitement élargi, et offre peut-être l’occasion d’entrevoir comment construire une (ou des) identité(s) numérique(s) plus stratégique(s). Protéger, paramétrer, valoriser. L’identité numérique c’est un peu qui nous sommes, mais aussi beaucoup ce que nous avons envie de montrer !

5. Les jeux vidéo, ça peut aider à vivre !

Il y a à peine deux ans, l’OMS alertait sur les troubles liés à la pratique du jeu vidéo et pointait le risque d’addiction qu’elle pouvait faire courir aux joueur·euses. Fin mars 2020, confinement oblige, cette même Organisation Mondiale de la Santé, soutient l’initiative portée par 18 éditeurs de jeux vidéos pour inciter à «jouer séparément mais ensemble ». Les jeux en ligne auraient donc aussi du bon : assurer la distanciation sociale tout en permettant aux enfants de jouer entre amis et de se retrouver dans un jeu. Un bon moyen pour décompresser, garder le contact, s’évader et même faire de l’exercice. Et quand le jeu est partagé c’est encore mieux ! Ne ne nous privons donc pas de jouer aussi avec les plus jeunes. Car jouer ensemble c’est avant tout partager du bon temps, mieux se connaître… et aussi déceler quand il semble temps d’arrêter.

Quelques pistes de lecture

Dominique Pasquier, L’Internet des familles modestes. Enquête dans la France rurale, Paris, Presses des Mines, coll. « Sciences sociales », 2018, 222 p., ISBN : 9782356715227.

Dominique Cardon, Culture numérique, Paris, Les Presses de Sciences Po, coll. « Les petites humanités », 2019, 430 p., ISBN : 9782724623659.

À propos de l\'auteur·trice

Médiatrice et formatrice pour Fréquence écoles, Caroline Bonnard est une ancienne journaliste de télévision, « rédactrice-cadreuse-monteuse » convertie à l’éducation aux médias et au numérique. Passionnée par les bouleversements induits par la « révolution numérique » elle s’intéresse à tout ce qui transforme nos modes d’information, de communication et d’interaction. Maman, elle teste aussi dans sa famille une approche critique mais bienveillante de l’éducation aux médias convaincue qu’il est nécessaire de s'y intéresser de près.

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