“Il arrive qu’on en regarde avec mes potes, c’est un moyen de nous détendre”. Edouard a 17 ans, et en tête de ses vidéos préférées sur YouTube, on trouve l’ASMR. Mais qu’est-ce qui se cache derrière ce sigle compliqué et ces vidéos pour le moins étranges ? Découverte d’une pratique qui pourrait vous être plus familière que vous ne l’imaginez.
Les lettres ASMR sont les initiales de l’expression anglaise autonomous sensory meridian response, que l’on pourrait traduire par réponse autonome des méridiens sensoriels. Contrairement aux idées reçues, ce sigle ne désigne pas seulement une tendance YouTube, mais certaines sensations, plus ou moins accessibles selon les individu·es. L’ASMR désigne des sortes de picotements ressentis à l’intérieur du corps, souvent au niveau du dos, comme un très agréable frisson. Cette émotion peut être déclenchée par tout un tas de gestes de la vie quotidienne. Cela peut être quelqu’un qui chuchote, qui brosse ses cheveux, éclate du papier bulle, fait du tricot, tape sur un clavier d’ordinateur… Cela ne vous dit rien ? C’est parce que l’ASMR dépend des individu·es : certain·es le ressentent très facilement, d’autres seulement dans des situations précises, et d’autres pas du tout.
Qu’en dit la science ?
Mais quelles sont les preuves scientifiques de l’existence de l’ASMR ? Les études sur le sujet sont encore peu nombreuses et relativement récentes. En 2018 au Royaume-Uni des chercheurs ont enregistré la fréquence cardiaque de personnes sensibles à l’ASMR pendant qu’elles regardaient des vidéos de ce type, et ont constaté que les battements de leur coeur ralentissaient de façon significative.
Selon The Conversation, “les personnes sensibles [à l’ASMR] ont des réseaux neuronaux moins distincts et plus intriqués que les autres”. Cela signifie qu’elles sont moins en mesure de tempérer les réponses émotionnelles à des stimulis sensoriels. Là où les personnes non-sensibles à l’ASMR reçoivent l’information du chuchotement par exemple, et la traitent comme n’importe quel autre son, les personnes sensibles elles, vont d’une certaine façon “sur-réagir” à l’information. D’ailleurs, ce sont aussi les personnes sensibles à l’ASMR qui vont réagir de façon très négative à certains stimulis (aussi appelés “triggers” dans le jargon). Toujours selon The Conversation, elles sont plus susceptibles de faire l’expérience de la misophonie, littéralement haine du son, qui se caractérise par des réactions de haine, de colère, d’anxiété ou encore de dégoût, pour des sons bien précis. Une personne sensible à l’ASMR pourra par exemple adorer les bruits de pages qui se tournent, mais haïr littéralement les bruits de bouche. Ou l’inverse !
Une autre étude datant de 2015 affirme même que l’ASMR pourrait aider les personnes atteintes de dépression, de certaines douleurs, ou simplement permettre d’améliorer l’humeur. Cette sensation semble avoir un effet similaire à la méditation, par exemple.
Des vidéos surprenantes
Si les stimulis capables de provoquer cette sensation sont présents dans la vie de tous les jours, il est possible de prendre un “shot” d’ASMR grâce à des vidéos dédiées. Il suffit de taper ce sigle dans la barre de recherche de YouTube pour tomber sur une foule de vidéos ASMR et de vidéastes spécialisé·es. Et quand on ne connaît pas le principe, il y a de quoi être surpris·e : ici, quelqu’un croque un cornichon devant un micro, là, une autre personne fait semblant d’être médecin et s’exprime en chuchotant, parfois, la personne ne parle pas et gratte par exemple une brosse à cheveux. Jessy publie ce type de vidéos depuis 2014.
En 2012 je n’allais pas très bien, j’étais sujette aux insomnies, crises de spasmophilie… Et j’ai découvert que l’ASMR me relaxait, me calmait et m’aidait à me mettre en condition pour dormir. Je sentais les frissons et mes paupières devenaient plus lourdes. En 2014 j’ai eu envie de savoir si moi aussi je pouvais aider d’autres personnes en créant des vidéos. Je voulais savoir si on pouvait tous provoquer des frissons chez les autres personnes sensibles. Et il se trouve que ça a été le cas.
Sur sa chaîne, elle propose des vidéos de chuchotements, de grattements… qui totalisent plusieurs milliers de vues. Certain·es de ses abonné·es sont malade, dépressif·ves… et lui expliquent que ses vidéos leurs sont d’une grande aide.
Je les aide et c’est toujours très gratifiant et tellement touchant […] Certaines personnes se sentent en confiance avec moi, ils ont l’impression de me connaître, me considèrent comme une amie car je les accompagne chaque jour à travers mes vidéos.
Amandine Leloup publie des vidéos de ce type depuis neuf ans. Pour elle aussi, sa motivation principale est d’apporter quelque chose de positif aux autres.
Le fait de donner à mon tour, d’aider les autres est une raison très importante. En 2011-2012 il n’y avait pas vraiment de vidéos ASMR en français, et je trouvais dommage de ne pas utiliser l’accent, la voix douce et d’autres déclencheurs pour détendre.
Les plus jeunes générations ont grandi dans un monde qui va vite. Grâce au numérique, ils et elles peuvent tout se procurer tout de suite (musique, livres, films, séries…). Et si cela apporte du confort, cela peut aussi se révéler fatigant. Avec les vidéos ASMR, les ados comme Édouard peuvent ralentir le rythme et ainsi trouver une forme de sérénité. L’étude réalisée en 2015 regroupe 4 types principaux de déclencheurs : les chuchotements, l’attention personnelle, les sons clairs comme les tapotements, et les mouvements lents. Des thématiques qu’on retrouve très souvent dans les vidéos ASMR.
Sur internet, l’obsession du satisfaisant
Cette pratique vous semble quand même étrange ? Pourtant, vous êtes possiblement sensible, vous aussi, à la recherche d’un certain réconfort par la vidéo sur internet. À leur façon, les vidéos satisfaisantes qui pullulent sur le web nous permettent elles aussi de prendre une pause, plus ou moins consciemment. Qui n’a jamais suspendu sa navigation devant une machine à fabriquer des bonbons, une presse hydraulique qui broie divers objets ou quelqu’un qui joue avec du sable magique ?
Envie de vous essayer à l’ASMR ? Vous pouvez aller faire un tour sur la chaîne YouTube de Jessy et celle d’Amandine Leloup. Et si le côté vidéo vous dérange, vous pouvez tenter de câliner vos oreilles avec ce site qui génère des ronronnements de chat sur mesure.
À propos de l\'auteur·trice
Journaliste depuis quatre ans, Lise Famelart est passée chez Clubic, Le Progrès, Euronews ou encore madmoiZelle en tant que cheffe de rubrique high-tech et jeux vidéo. Le numérique reste une de ses thématiques de prédilection et à côté de son travail de journaliste, elle aime échanger à propos du jeu vidéo sur Twitch.